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Tatouages spectaculaires :
le cas de
Djita Salomé

Lorsqu’Alexandre Lacassagne liste la répartition par métiers des tatouages qu’il a pu rencontrer lors de son enquête de 1881 sur le sujet, il mentionne les “lutteurs” tatoués de poids, d’haltères et de boulets de canon[26]. C’est certainement que les colosses, les Hercule et autres hommes forts qui se dénudaient pour mieux souligner leurs performances physiques révélaient ce-faisant des corps tatoués. En tout cas, ils aidaient à les caractériser dans de nombreux dessins humoristiques, parus dans la presse ou en cartes postales. Mais ces tatouages n’étaient pas pour autant l’objet du spectacle. Puis, le 10 septembre 1874, le “Capitaine Costentenus” s’est produit pour la première fois aux Folies-Bergère. À sa suite, des hommes et des femmes tatoués des pieds à la tête ont fasciné les foules non pas parce qu’ils étaient tatoués, mais parce qu’ils l’étaient intégralement. Dès 1900, une femme tatouée — probablement Annie Howard — était la “Vénus tatouée” de la tournée européenne de Barnum and Bailey[27]. Mais c’est surtout l’image de Djita Salomé (parfois aussi appelée simplement Salomé ou Djita) qui a été reproduite en cartes postales. Entre la fin des années 1900 et l’entre-deux-guerres, son éditeur Carl H. Odemar de Magdebourg lui a fait réaliser plusieurs séances photographiques pour assurer sa promotion. Ses tatouages (des figures historiques, des étoiles, des fleurs, des croissants de lune…) y sont mis en scène dans des boudoirs ou des intérieurs de musées ; leur nombre de couleurs, énuméré en légendes, évolue de sept à huit, puis à quatorze, dans une claire stratégie de surenchère. Possiblement vendues à la fin de représentations, ces cartes postales, une fois envoyées, permettaient à de futurs spectateurs de la découvrir. Elles servaient aussi de préambule au spectacle, dont elles annonçaient peut-être la nature. La représentation pouvait être scientifique : certaines légendes donnent des indications techniques (“(100,000,000 de piqûres). Procédé Électrique”). Elle pouvait être plus épique : d’autres légendes inventent des récits de marquage forcé (“Œuvre d’art exécutée en 14 tons par les Peaux-Rouges de Dakota (U.S.)”)… Une constante, en tout cas : il y avait quelque chose d’orientalisant dans la persona de Djita Salomé. Inspirée de la figure biblique, définie comme une “beauté orientale”, elle incarnait une sorte d’ailleurs mystérieux, qu’il soit géographique ou temporel. Quant à son identité véritable, elle demeure un mystère.

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26. A. Lacassagne, Les Tatouages. Étude anthropologique et médico-légale, op. cit., p. 42.

27. Amelia Klem Osterud, The Tattooed Lady. A History, Deuxième édition., Lanham, Boulder, New York et Londres, Taylor Trade Publishing, 2009, p. 49.

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