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Arrêt sur...

En 1918, la production satirique de guerre jouit déjà d’une longue expérience, nourrie de périodes distinctes qui l’ont vue successivement porter le trait sur la haine de l’ennemi, la guerre ludique, les tracas de l’arrière ou encore l’héroïsme des anonymes… Progressivement, une spectacularisation comique de la vie civile est venue équilibrer un « bourrage de crânes » en voie d’essoufflement dans les pages d’une presse qui s’autocensure en permanence, tout en s’efforçant de conserver intact son public et de renouveler ses saillies. Si la conviction commune des premiers temps de la Noël 1914 reposait sur la guerre courte, c’est plutôt le désenchantement qui traverse les images de 1918 au fil des parutions. Les principaux titres de la presse satirique émergeant d’une liste bigarrée de publications, "Le Rire" (devenu "rouge"), "La Baïonnette", "La Vie parisienne", "Le Pêle-mêle", "Fantasio" sont à l’exact diapason de ces tendances larges et interagissent largement avec le corpus de la carte postale. Aussi, lors de l’armistice de novembre, la liesse immédiate de la rue met quelque temps à se propager au sein de la production imprimée satirique, soumise à une question formidablement complexe : comment célébrer tout à la fois l’exultation et le deuil ?

Comme l’indique Rémi Dalisson à propos du 11 novembre : " La liesse est immédiate et c'est autant le soulagement que la joie de la victoire qui éclate pendant trois jours. Cette ambivalence qui minore la joie du triomphe par la tristesse devant les massacres et les souffrances, illustre toute l'ambiguïté de la commémoration de la fin de la guerre, en France comme ailleurs" et l’historien de poser le problème entre "la célébration de la victoire, entre culte républicain et silence des tranchées".

Rémi Dalisson 1, 11 novembre.

1. Du Souvenir à la Mémoire, Paris Armand Colin, 2013, chapitre 2, pp. 31-55.

Les cartes postales offrent un panorama iconographique coloré dont la dimension méta-religieuse surprend le spectateur d’une collection globale, à propos d’une célébration qui consacre avant tout une victoire nationale mais tout autant républicaine. Certes, les représentations de Clemenceau, de Joffre, dont teintées d’un messianisme assez coutumier dans l’histoire hexagonale, prompte à célébrer les héros "providentiels" ; certes, il n’y a pas à proprement parler de présence divine ; mais le ciel est omniprésent, tout comme les édifices religieux – lesquels figurent simultanément le lieu du sacré tout autant qu’un espace de concorde au cœur du terroir, du village, de l’"intime collectif national ".

Ces cartes laissent transparaître plusieurs tendances sensibles que l’on subdivisera brièvement
de la façon suivante :

  • Le bouquet de drapeaux, célébrant les ententes cordiales multilatérales entre alliés. Le tricolore n’est que rarement présent en solitaire. Cette rencontre symbolique est également perceptible dans la rencontre des allégories animalières.

  • L’omniprésence alsacienne, l’allégorie féminine des "provinces perdues" constituant une déclinaison "cousine" de Marianne permettant aux artistes la figuration de "retrouvailles" entre "sœurs symboliques"… Cela permet également d’offrir une présence visuelle féminine sans solliciter l’image de la veuve, laquelle ne succèdera qu’un peu plus tard à la victoire – en particulier lors du 11 novembre 1919.

  • La surreprésentation de l’enfance, à la fois dans la veine créative des auteurs mais avec une naïveté volontaire et revendiquée d’un trait visant à la plus large compréhension. Les salles de classe alternent avec le retour des marmots alsaciens d’exil, seule présence de deuil de ce bref corpus (ou à peu près).

  • L’exaltation, non pas des poilus mais du poilu, comme archétype définitif du citoyen-combattant, même si le retour de la troupe est présent de façon plus incidente.

  • La ridiculisation de l’ennemi sous forme symbolique (l’aigle impériale terrassée par "Gallia" chez Willette), caricaturale (le militaire) ou plus généralement satirique avec l’exagération des représentations des populations teutonnes contraintes de quitter l’Alsace-Lorraine, consacrant l’importance de la veine créatrice de dessinateurs tels Hansi ou Zislin. Il faut noter à ce propos l’édulcoration considérable de la violence satirique au regard de l’ensemble de la production de guerre, en particulier entre 1915 et 1916.

  • L’omniprésence de l’Arc de Triomphe conjuguée à la minoration des symboles de deuil.

Ce dernier élément tend à prouver que l’essentiel de cette production iconographique se situe moins dans la célébration proprement dite de l’armistice de novembre 1918 que de la préparation, puis de la tenue des fêtes du 14 juillet 1919, instant bien davantage propice à l’exaltation préparée, consciente et dosée de la victoire que la réception hébétée de la fin des combats au début du mois de novembre précédent. La comparaison avec l’offre satirique imprimée de novembre 1918 ne laisse que peu de doute : l’armistice, par sa soudaineté, constitue un non-évènement iconographique, dont la reconstruction dans les imaginaires s’inscrit en fait dans la célébration du 14 juillet 1919. Et c’est exactement ce qu’illustrent les pièces présentées dans cette galerie d’images, dont la plupart semblent dater du premier semestre 1919.

 

Laurent Bihl,
maître de conférences en histoire et communication audiovisuelle à l'université Paris 1

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